Cinq ans de retard : La Renfe espagnole n’atteindra pas la ligne Paris-Lyon avant 2029
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Bien que la France ait ouvert sa ligne la plus rentable à la libéralisation, l’opérateur espagnol Renfe, soutenu par l’État, ne pourra pas circuler sur la ligne Paris-Lyon avant au moins 2029, selon la presse espagnole. C’est cinq ans plus tard que prévu, en partie à cause de la lourdeur de la procédure française d’approbation des nouveaux trains à grande vitesse espagnols Avril, qui posent pourtant des problèmes. Et peut-être plus qu’un peu de protectionnisme de la SNCF.
Le ministre espagnol des transports, Óscar Puente, a déclaré au début de l’année que la Renfe n’atteindrait pas Paris d’ici 2025. L’opérateur espagnol avait pourtant prévu de mettre en service la ligne à grande vitesse Paris-Lyon l’année dernière, avant les Jeux olympiques d’été dans la capitale française.
Toutefois, selon le journal La Razón, cette date pourrait être repoussée à 2029. La raison ? L’opérateur espagnol estime que la SNCF n’approuvera pas les nouveaux trains Avril de Talgo, avec lesquels il prévoit de desservir la ligne, avant la fin de l’année 2028. Même après cela, Renfe devra former ses conducteurs à la conduite des Avrils sur le sol français, ce qui prendra encore plusieurs mois. Tout cela devrait repousser la date de début des opérations de Renfe d’une année supplémentaire.
Le journal rapporte que la semaine dernière, lors d’une réunion au Sénat français pour discuter de l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de passagers, la directrice générale de la stratégie globale de Renfe Operadora, Paloma Baena, a déclaré que le processus d’approbation d’Avril ne devrait pas être achevé avant trois ans. Attaquant la longue procédure devant les politiciens français, la représentante de Renfe a déclaré que la France devait « accélérer le processus d’approbation et de certification et renforcer sa transparence et sa prévisibilité ».
Renfe demande une « séparation complète » entre l’opérateur et le gestionnaire
Ce n’est pas la première fois – et ce ne sera probablement pas la dernière – que Renfe s’en prend aux organismes ferroviaires français pour qu’ils mettent autant d’obstacles que possible à l’ouverture de sa ligne la plus populaire à la libéralisation. Baena a souligné les nombreux obstacles auxquels elle a dû faire face pour opérer sur les corridors ferroviaires français, déclarant que les nouveaux opérateurs méritaient « d’accéder au marché dans des conditions appropriées, sans être entravés par la position dominante et l’intégration verticale du groupe SNCF ».
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Elle est même allée jusqu’à demander la séparation absolue de l’opérateur public et du gestionnaire des chemins de fer français afin d’ouvrir réellement les voies du pays à la concurrence. « La séparation complète de SNCF Voyageurs et de SNCF Réseau est nécessaire pour permettre la modulation des investissements nécessaires sans imposer un surcoût aux concurrents de la SNCF, comme nous l’avons fait en Espagne », a-t-elle déclaré.
En effet, en Espagne, l’opérateur Renfe, soutenu par l’État, et le gestionnaire ferroviaire Adif, soutenu par l’État, sont beaucoup moins étroitement liés qu’en France, sous l’égide du groupe SNCF. Depuis 2020, Adif a ouvert un grand nombre de ses lignes à grande vitesse, par exemple entre Madrid et Barcelone, ainsi qu’entre Madrid et la Communauté de Valence et entre Madrid, Séville et Malaga. Aujourd’hui, avec sa « deuxième phase » de libéralisation, elle permet aux concurrents de se disputer l’espace sur la liaison Madrid-Galice, Madrid-Asturies/Cantabrie et la ligne Madrid-Cádiz/Huelva.
SNCF en Espagne, Renfe en France
Il est donc compréhensible que Renfe ne soit pas satisfaite de l’approche de la France. Ouigo, le service ferroviaire à grande vitesse et à bas prix de la SNCF, a largement profité de la libéralisation de l’Espagne et y exploite désormais cinq lignes intérieures. De son côté, Renfe pourrait exploiter deux lignes transfrontalières entre l’Espagne et son voisin (Madrid-Marseille et Barcelone-Lyon) et une autre (Barcelone-Toulouse) devrait bientôt être lancée. En revanche, elle n’a pas encore été en mesure d’exploiter une seule ligne intérieure en France.
Un autre problème pour la compagnie espagnole en France est apparemment l’approche de son voisin en matière de maintenance ferroviaire pour les concurrents. Dans son discours, Mme Baena a demandé que les ateliers français soient adaptés pour accueillir le matériel roulant des nouveaux opérateurs, comme cela a été fait en Espagne, en fournissant un certificat de sécurité unique pour tous les réseaux. Entre-temps, Talgo, le fabricant des Avrils, a déclaré à Renfe que l’atelier de maintenance que la SNCF avait mis à sa disposition n’offrait pas d’équipement pour les tâches de maintenance de base, telles que le tournage des roues. Cela a obligé Talgo à effectuer les travaux à Barcelone, ce qui a ralenti les opérations de Renfe.
Précautions techniques, protectionnisme à long terme
Dans une certaine mesure, il est peut-être juste que la SNCF soit particulièrement prudente lorsqu’il s’agit de laisser les Avrils emprunter l’un des principaux axes routiers de la France. Bien que les trains à grande vitesse soient les plus avancés de la flotte de Renfe, ils ont été confrontés à d’importants problèmes techniques, avec 479 incidents signalés deux mois et demi seulement après leur lancement en 2024, soit une moyenne de six par jour. Dans le cas le plus grave, près de 500 passagers ont été bloqués pendant deux heures dans un tunnel à Madrid l’été dernier.
Un certain niveau de protectionnisme est également compréhensible. Comme le souligne l’économiste Pascal Perri dans Les Échos, les nouveaux entrants en France, tels que l’italien Trenitalia, et bientôt Renfe, peuvent bénéficier de la libéralisation en offrant des réductions initiales. Il est donc normal que la France veuille assurer une concurrence loyale et durable – et des bénéfices à long terme pour ses passagers – en imposant « un régime général de droits et de contraintes équitablement partagés entre les anciens et les nouveaux acteurs du marché ».
Un échange de bons procédés
Mais on pourrait dire la même chose de la SNCF en Espagne. Le ministre des transports, Oscar Puente, s’en est pris à plusieurs reprises à Ouigo, soutenu par l’État français, pour avoir proposé des dizaines de milliers de billets à grande vitesse à un euro seulement depuis qu’il est sur les rails en Espagne. La SNCF réclame un deuxième cycle de libéralisation du transport ferroviaire de voyageurs en Espagne, afin de permettre à des entreprises autres que Renfe d’exploiter des trains soumis à l’obligation de service public (OSP), subventionnés par le contribuable, qui couvrent généralement les services de banlieue et de moyenne distance.
« L’objectif doit être de s’assurer qu’il n’y a pas d’avantages pour l’opérateur historique et que les procédures sont équitables », déclare la SNCF d’Espagne. Elle demande également un accès « non discriminatoire » aux installations de maintenance en Espagne, une accusation presque réciproque qui reflète la colère de Renfe à l’égard de la compagnie ferroviaire française.
En résumé, si les compagnies ferroviaires européennes historiques commencent, sous la pression de l’Union européenne, à ouvrir leurs réseaux à d’autres opérateurs, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant que ces gestionnaires ferroviaires ne s’accordent sur une forme de concurrence qui convienne à tout le monde. Cela inclut les passagers, et pas seulement à court terme, puisque les prix des billets devraient augmenter à nouveau une fois que la concurrence libéralisée se sera stabilisée. Cependant, l’irritation causée par ces difficultés initiales ne sera évidemment pas perdue pour Renfe, qui voit la capacité augmenter sur la ligne Paris-Lyon alors qu’elle est obligée d’attendre au bord de la voie.
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