EXCLUSIF : La mort du CEF ? L’UE « menace de mettre fin » au fonds de transport dédié de plusieurs milliards d’euros

La Commission européenne pourrait mettre fin au Connecting Europe Facility (CEF), le fonds de transport de l’UE doté de plusieurs milliards d’euros, ont confirmé en exclusivité à RailTech des sources au fait des projets. La perspective de perdre des dizaines de milliards d’euros de financement dédié au rail a déjà suscité une réaction discrète de la part des dirigeants du secteur et des gouvernements. Voici ce qui se passe, pourquoi l’exécutif européen envisage cette mesure et pourquoi le secteur ferroviaire est si inquiet.
Des initiés ayant connaissance des changements politiques potentiels dans le financement de l’UE ont déclaré à RailTech que la Commission envisageait de mettre fin à la Connecting Europe Facility (CEF) et de la fusionner avec d’autres organismes de financement dans le cadre d’un fonds de compétitivité unique de l’UE. Si une telle décision était prise, elle représenterait un coup dur pour les investissements ferroviaires européens, le secteur devant rivaliser de manière beaucoup plus agressive avec d’autres industries pour obtenir des financements.
Pour comprendre ce qui est en jeu, il faut savoir que le FCE est le principal outil de l’UE pour financer les infrastructures de transport, d’énergie et numériques, et qu’il est divisé en trois secteurs. Depuis 2014, il a alloué 37,5 milliards d’euros à plus de 1 500 projets de transport, dont une grande partie pour le rail. Rien qu’en 2023, les projets ferroviaires ont obtenu 5,7 milliards d’euros, ce qui représente 80 % des 7 milliards d’euros attribués au titre du CEF Transport.
Sans le CEF, de grands projets ferroviaires tels que Rail Baltica – destiné à intégrer les États baltes au réseau européen – n’auraient peut-être jamais vu le jour ; ils ont déjà reçu 2,6 milliards d’euros de financement de l’UE par l’intermédiaire du mécanisme. De même, 5,5 milliards d’euros du CEF ont été alloués au chemin de fer Lyon-Turin, un tunnel de base de 57,5 kilomètres reliant la France et l’Italie sous les Alpes.
Sans financement européen dédié aux transports, de tels projets ferroviaires transfrontaliers à long terme pourraient avoir du mal à voir le jour. C’est notamment le cas du coûteux déploiement de l’ERTMS en Europe. Dans l’immédiat, la suppression du CEF pourrait retarder, voire annuler, des projets ferroviaires en cours, ce qui remettrait en cause les plans d’infrastructure des gouvernements de l’UE et les engagements de la Commission en matière de transport durable. Dans quelle mesure la menace d’une disparition du CEF est-elle réelle ?
Le diable se cache dans les détails
Selon les sources de RailTech, il existe une réelle possibilité que le CEF, ainsi qu’une série d’autres programmes de financement dans l’ensemble du budget de l’UE, soit supprimé. Bien qu’une décision d’une telle ampleur doive d’abord être approuvée par le Parlement européen et le Conseil européen, l’exécutif de l’UE cherche apparemment déjà à adapter son budget de manière significative dans le contexte actuel de changement tectonique de la politique mondiale.

L’idée est de mettre fin à des programmes de financement tels que le CEF en faveur d’une simplification de ces programmes en un fonds plus important – un fonds de compétitivité de l’UE dans ce cas. Les personnes au fait des projets potentiels affirment qu’une telle approche pourrait présenter certains avantages pour l’industrie ferroviaire ; un tel mécanisme inclurait des projets technologiques et numériques qui bénéficieraient évidemment au matériel roulant et à l’infrastructure ferroviaire.
Toutefois, selon nos sources, l’industrie des transports au sens large craint que la suppression des investissements dédiés au secteur ne se traduise par une application moins ciblée et plus désordonnée des fonds pour une industrie qui a désespérément besoin de calendriers de financement clairs et à long terme pour réaliser des projets d’infrastructure majeurs, en particulier lorsqu’il s’agit de projets qui s’étendent sur plusieurs frontières. Et il semble qu’ils ne soient pas les seuls.
Les dirigeants de l’UE réagissent au remaniement du CEF
Bien que rien n’ait encore été finalisé, les signaux envoyés par la Commission ont suffi pour que les gouvernements nationaux, les représentants européens du secteur des transports et l’industrie ferroviaire se regroupent et tirent la sonnette d’alarme. Et bien qu’il n’y ait pas beaucoup de références directes à la mort potentielle du CEF, ce à quoi ils font allusion est clair.
Hier, par exemple, les premiers ministres et les présidents de l’Estonie, de la Grèce, de la Hongrie, de l’Italie, de la Lettonie, de la Lituanie, du Portugal, de la Roumanie, de la Slovaquie, de l’Espagne et de la République tchèque ont adressé une lettre ouverte à la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, pour lui faire part de leurs inquiétudes quant à l’avenir du financement des projets ferroviaires de l’UE. Dans ce document, les dirigeants font l’éloge des récents investissements ferroviaires de Bruxelles et réaffirment leur engagement en faveur de la connectivité transfrontalière par le biais de la politique transeuropéenne des transports (RTE-T) et des corridors de transport européens. Ils ont également soutenu le plan d’action pour le transport ferroviaire à grande vitesse du nouveau commissaire européen chargé des transports, Apostolos Tzitzikostas, ainsi que l’importance du financement du transport ferroviaire, comme le soulignent les récents rapports d’Enrico Letta et de Mario Draghi sur la compétitivité de l’UE.

Mais ils poursuivent en avertissant que la réalisation de ces objectifs nécessite des ressources financières suffisantes et de nouveaux instruments de financement, tels que le financement relais. « Nous explorons d’autres méthodes de financement et comptons sur le soutien de la Banque européenne d’investissement. Toutefois, et sans préjuger du prochain cadre financier pluriannuel [le budget à long terme de l’UE], nous tenons à souligner que le cofinancement par l’UE de ces connexions au cours de la prochaine période financière est absolument essentiel et indispensable. »
En substance, les dirigeants européens affirment qu’il est essentiel d’éviter les processus et les règles d’application trop stricts – comme c’est le cas dans certains mécanismes de financement plus larges de l’UE, tels que le Fonds de résilience et de relance – pour maintenir les grands projets ferroviaires dans les délais prévus. Il en va de même pour la coordination et la synchronisation des calendriers entre les différents États. Le point clé de la lettre est peut-être le moment où les dirigeants « plaident fortement » en faveur d’un « FEC solide, géré de manière centralisée » avec « une ambition financière accrue » pour maintenir le réseau européen à grande vitesse sur la bonne voie.
C’est presque comme si un fonds dédié aux transports était en jeu.
Les entreprises de transport critiquent les ouvertures de la Commission
Une lettre ouverte rédigée récemment par les plus grands acteurs du secteur européen des transports à l’intention des conseils de l’UE chargés de la coordination des politiques et des budgets exprime des sentiments similaires. Le document indique que le secteur européen des transports est « l’épine dorsale » du marché de l’UE et une « condition préalable » à la construction d’une Europe compétitive. Déclarant que le secteur des transports est « profondément préoccupé » par les projets visant à réorienter « une grande majorité » du financement des transports européens vers les plans uniques nationaux, le document appelle les ministres des finances de l’UE à envoyer un signal fort à la Commission en faveur de la préservation d’un fonds de transport « solide et dédié ».
Plutôt que de passer à une approche « où les priorités nationales peuvent prévaloir, il est plus important que jamais pour l’Europe de maintenir un instrument d’investissement coordonné et géré de manière centralisée… Particulièrement en ces temps incertains, l’Europe ne peut pas se permettre d’aller vers moins de connectivité, moins de cohésion interne, et moins d’intégration européenne. Par conséquent, le secteur des transports demande instamment aux États membres et à la Commission d’éviter de mettre en péril l’avenir et la compétitivité du réseau de transport européen ».
L’UNIFE, qui représente les fabricants et fournisseurs ferroviaires européens, a peut-être été le plus proche de mettre le doigt sur l’éléphant dans la pièce. Le rapport d’une récente réunion du Rail Forum Europe – un groupe d’eurodéputés qui soutiennent le secteur ferroviaire – a déclaré : « Avec des changements clés dans les processus budgétaires et les procédures d’approbation des budgets, le secteur ferroviaire est en train de changer : « Les parlementaires ont exprimé leur inquiétude quant à l’avenir d’un financement fiable et cohérent du secteur ferroviaire, compte tenu des changements importants attendus au niveau des processus budgétaires et des pots de financement, tels que l’arrêt du financement dédié au secteur ferroviaire par la suppression potentielle de la Connecting Europe Facility.
La Commission a-t-elle confirmé son intention de mettre fin à la CEF ?
Tout cela montre que les dirigeants nationaux, les entreprises ferroviaires et l’ensemble de la communauté des transports sont exceptionnellement unis contre un tel changement potentiel dans la manière dont l’UE finance le secteur. Alors, si cette mesure est si impopulaire, pourquoi l’UE l’envisage-t-elle ?
Lorsque RailTech a demandé à l’exécutif européen s’il envisageait de mettre fin au CEF, la Commission a répondu qu’elle ne pouvait pas fournir plus d’informations sur la question pour le moment. Toutefois, elle nous a renvoyés à un avis de lancement d’une consultation publique « invitant les parties prenantes et les citoyens à s’exprimer sur le futur budget de l’UE et les politiques qu’il devrait soutenir ».
Le budget 🇪🇺 bénéficie à tous les Européens.
Les Européens doivent avoir leur mot à dire.Aujourd’hui, nous posons les jalons du prochain budget à long terme, qui débutera en 2028.
Au fur et à mesure que de nouveaux défis et de nouvelles attentes apparaissent, nous devons faire en sorte qu’il soit adapté à l’avenir.
Faisons-le ensemble ↓ #haveyoursay
– Commission européenne (@EU_Commission) 12 février 2025
La consultation concerne le dernier communiqué de la Commission sur sa future structure de financement potentielle, intitulé » La voie vers le prochain cadre financier pluriannuel« , qui décrit les principaux défis politiques et budgétaires qui façonneront le budget à long terme de l’UE « en fonction de l’évolution des besoins et des priorités. »
« Les attentes à l’égard de l’UE ne cessent de croître », indique la Commission dans son avis. « Pour que le budget de l’UE soit à la hauteur de nos ambitions, nous devons introduire de nouvelles ressources. Le statu quo n’est pas une option. Des choix doivent être faits. L’UE doit maximiser l’impact de chaque euro qu’elle dépense ».
Selon l’exécutif, cela signifie créer un mécanisme d’investissement qui soit « plus simple, plus flexible, plus ciblé et plus efficace ». Il mentionne expressément que le nouveau budget « devrait inclure un plan pour chaque pays avec des réformes et des investissements clés, conçus et mis en œuvre en partenariat avec les autorités nationales, régionales et locales ». Tout cela donne l’impression d’une Commission désireuse de réduire les financements sectoriels et de se concentrer sur les financements nationaux, tout en créant un mécanisme de financement plus large et plus simple.
Un fonds européen pour la compétitivité plus large
Et apparemment, c’est le ton de l’exécutif européen lors des discussions avec les principales parties prenantes, selon les sources de RailTech. Il semble qu’il y ait un mouvement général en faveur d’un fonds de compétitivité de l’UE plus large. Cependant, le fonctionnement d’un tel mécanisme ne sera probablement pas clair jusqu’en juillet, lorsque la Commission devrait présenter sa proposition formelle pour le prochain cadre financier pluriannuel.
Comme le soulignent les sources de RailTech, la mort du CEF pourrait même ne pas se matérialiser compte tenu de l’hostilité actuelle à l’égard des projets. Toutefois, un responsable de la politique ferroviaire de l’exécutif européen a récemment laissé entendre que le financement du rail pourrait être réduit dans les années à venir si l’Union devait détourner des fonds, par exemple, vers les dépenses de défense ; « Ne comptez pas sur nous », tel était le message. Et face à un Donald Trump sélectivement isolationniste à la tête des États-Unis, un tel changement pourrait en effet s’avérer nécessaire.
Quelle que soit la décision de la Commission, un remaniement majeur de la manière dont l’UE finance le rail est clairement en vue, avec l’avenir du CEF en ligne de mire. Mais pour l’instant, il semble que les investissements dédiés aux voies ferrées européennes pourraient être une des principales victimes du budget à long terme de l’Union européenne.
Le financement et la politique ferroviaires en Europe vous intéressent ? Avec de nombreux panels, documents et ateliers sur les derniers sujets brûlants de notre secteur, rejoignez-nous à RailTech Belgium 2025 pour obtenir des informations exploitables, entrer en contact avec les leaders de l’industrie et façonner l’avenir du rail en Belgique et au-delà. Consultez le programme de la conférence et réservez votre place dès aujourd’hui – les inscriptions sont ouvertes !