La France va commander 180 nouveaux trains de nuit, mais les projets d’expansion des wagons-lits restent flous
Le ministre des transports, Philippe Tabarot, a enfin annoncé les détails de la relance des trains de nuit tant attendue par le gouvernement français : un appel d’offres sera bientôt lancé pour 180 nouvelles voitures-couchettes et 30 locomotives. Cela fait beaucoup de matériel roulant, mais quand la France peut-elle s’attendre à recevoir les trains de nuit ? Il ne faut pas s’y attendre, et vu l’état du réseau de wagons-lits, cela pourrait être un gros problème.
Le gouvernement français s’est (presque) officiellement engagé à commander 180 voitures de train de nuit et 30 locomotives, ce qui constitue le premier investissement à grande échelle dans les services ferroviaires de nuit depuis près de 45 ans. Le ministre des transports, Philippe Tabarot, a confirmé ce projet au Sénat en début de semaine, en déclarant qu’un appel d’offres pour le nouveau matériel roulant serait lancé « prochainement ».
Malgré cette annonce historique, les associations de défense de l’environnement et du rail ont critiqué le manque d’ambition du plan gouvernemental pour les trains de nuit. Alors que le président Emmanuel Macron avait promis « une dizaine » de lignes de trains de nuit d’ici 2030, la commande actuelle ne suffit qu’à remplacer le matériel vieillissant sur les services existants, et non à étendre le réseau.
Selon le Réseau Action Climat (RAC), l’achat annoncé ne suffirait qu’à moderniser les trains sur les lignes existantes, ce qui signifie qu’il n’y a pas de capacité pour ajouter de nouveaux services. Si l’organisation reconnaît que c’est la première fois en quarante ans que l’État commande des trains de nuit, elle affirme que le volume de matériel roulant est loin de répondre aux besoins d’une expansion significative. Et puis, il y a la question de la date de livraison des traverses qui n’ont pas encore été commandées.
Quels sont les trains de nuit actuels ?
Depuis la relance de Paris-Nice en 2021, le réseau français de trains de nuit s’est lentement rétabli après avoir frôlé l’extinction dans les années 2010. Actuellement, sept lignes nationales de trains de nuit sont exploitées, toutes au départ de Paris. Il s’agit notamment de services à destination de Tarbes, Toulouse, Aurillac, Nice, Briançon, Latour-de-Carol et Rodez.
Au-delà des liaisons intérieures, la France a également relancé les services de trains de nuit internationaux. Aujourd’hui, les voyageurs peuvent prendre des trains de nuit de Paris à Berlin et Vienne, et une ligne Paris-Barcelone devrait également être lancée dans un avenir proche.
La demande de voyages en train de nuit en France a explosé ces dernières années, avec une croissance record du nombre de voyageurs. Pour la seule année 2024, les trains de nuit français ont transporté un million de passagers, soit une augmentation de 23 % par rapport à 2023, selon Alexis Chailloux, responsable des transports au Réseau Action Climat. Cette recrudescence de la demande est due, en partie, à une plus grande attention portée aux voyages durables, à l’augmentation des coûts des voyages aériens intérieurs et aux efforts renouvelés de l’UE pour restaurer les itinéraires des trains de nuit en tant qu’alternative aux vols court-courriers.
Qu’est-il advenu du plan d’expansion de M. Macron ?
En 2022, M. Macron a présenté un ambitieux plan d’expansion des trains de nuit, qui prévoyait le lancement de nouveaux itinéraires au-delà des liaisons centrées sur Paris. Deux des lignes proposées auraient relié Nice à Bordeaux et Nice à Strasbourg et Metz, tandis qu’un train de nuit international Paris-Barcelone était également prévu.
À vivre à partir du 11 décembre : le nouveau trajet Berlin-Paris en train de nuit avec Nightjet
Une coopération entre SNCF Voyageurs, @SNCB, @unsereOEBB et @DB_Presse
3 classes de confort adaptées à tous les voyageurs 🚆🌙#TrainDeNuit pic.twitter.com/1gXLu3BShQ
– SNCF Voyageurs (@SNCFVoyageurs) 11 décembre 2023
Cependant, dans le cadre de la commande de matériel roulant prévue, ces plans d’expansion ont peu de chances de se concrétiser. Sans investissements supplémentaires, la France aura du mal à atteindre l’objectif de M. Macron d’exploiter 10 lignes nationales de trains de nuit d’ici 2030. Les experts du secteur des transports estiment qu’au moins 300 nouvelles voitures-couchettes seraient nécessaires pour moderniser le réseau existant et lancer de nouvelles lignes. Ce chiffre ne représente encore que la moitié des 600 wagons-lits recommandés par le rapport 2021 du ministère des transports.
Et si, selon le gouvernement, une « clause optionnelle » sera incluse dans le contrat à venir, qui pourrait permettre le lancement de trois lignes de train de nuit supplémentaires à un stade ultérieur, il n’y a pas de calendrier précis pour savoir quand – ou si – cette expansion aura lieu.
Pourquoi le gouvernement hésite-t-il ?
Bien que les trains de nuit bénéficient d’un fort soutien public, leur exploitation reste financièrement complexe. L’exploitation des services de nuit n’est pas aussi rentable que celle des lignes de jour à grande vitesse, principalement en raison des coûts d’exploitation plus élevés et de la fréquence quotidienne plus faible. Comme chaque train n’effectue qu’un aller-retour par jour, la rentabilité reste un défi de taille.
Pour donner un exemple européen plus large des défis financiers auxquels sont confrontés les services de nuit, l’ÖBB autrichienne a confirmé à RailTech l’année dernière que son projet de ligne de nuit NightJet entre Zurich et Barcelone n’irait pas de l’avant parce que le gouvernement suisse avait essentiellement jugé la ligne trop coûteuse compte tenu de l’offre de service. Selon la loi suisse, un maximum de 30 millions de francs suisses peut être alloué annuellement à la promotion des trains internationaux, mais pour des raisons évidentes, le financement des liaisons nocturnes est considéré, à l’instar de la France, comme « facultatif ».
Par ailleurs, un autre facteur majeur qui limite l’expansion est le fait que les travaux d’infrastructure ferroviaire sont généralement effectués la nuit, tandis que les réseaux doivent également accueillir des trains de marchandises plus lents, qui ont tendance à circuler au crépuscule, ce qui entraîne souvent des problèmes d’horaires et des retards pour les services de transport de passagers. Ces problèmes ont suscité l’ire des nouvelles entreprises de trains de nuit, comme European Sleeper, qui ont déclaré qu’il était « tout simplement difficile de faire des affaires avec SNCF Réseau » en raison de ces problèmes « en partie compréhensibles », mais aussi de « l’incompétence » de la direction.
La longue attente
Au-delà des problèmes d’infrastructure, même lorsque la nouvelle flotte sera confirmée, les voyageurs devront encore attendre plusieurs années avant de voir des voitures-couchettes modernes en service. On estime qu ‘il faudra entre cinq et huit ans pour que les nouveaux trains commandés soient conçus, fabriqués et livrés.
Cela n’est pas très différent des livraisons générales de matériel roulant, mais contrairement aux trains à unités multiples, qui sont déjà confrontés à des délais de livraison importants, les voitures-lits tractées par des locomotives doivent répondre à des critères très spécifiques et nécessitent donc des installations de production spécialisées, ce qui rend l’approvisionnement plus difficile. Et lorsque ces trains commencent à franchir les frontières, avec leurs réseaux et leurs réglementations – il serait judicieux de vérifier que ces véhicules peuvent circuler à l’étranger -, la situation devient encore plus compliquée. C’est un problème que le directeur commercial de la société suédoise SJ, Christer Litzell, a récemment expliqué en détail à RailTech (« C’est très, très compliqué… »).
L’avenir des trains de nuit français
Entre-temps, la France a prolongé la durée de vie de sa flotte vieillissante de trains de nuit grâce à un programme de rénovation de 91 millions d’euros. Ce programme a permis de maintenir en service les anciennes voitures-couchettes Corail, évitant ainsi l’effondrement total du réseau français de trains de nuit. Mais pour l’instant, les passagers devront attendre au moins jusqu’au début des années 2030 pour avoir des trains-couchettes modernes, et espérer que le gouvernement tienne sa promesse d’un réseau de trains de nuit plus étendu.
Enfin, au-delà des questions de maintenance, de constructeurs et d’horaires, tout cela se passe dans un contexte de libéralisation imminente. La SNCF devra bientôt faire face à la concurrence, car ses lignes Intercités (y compris les trains de nuit) seront de plus en plus ouvertes à la concurrence d’ici la fin de la décennie. Dans un premier temps, cela pourrait être une bonne nouvelle pour les voyageurs, les nouveaux arrivants proposant souvent des prix cassés pour s’implanter sur le marché (ils finiront sans doute par augmenter). Pour l’instant, c’est une longue tempête que l’opérateur soutenu par l’État français doit affronter. Néanmoins, l’avenir des trains de nuit français semble s’éclaircir un peu.
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